Solstice 553

Jour du Solstice d'hiver 553

@Lyana di Asturien

Même si Amalia n’était pas présente pour fêter le solstice avec sa famille, elle avait malgré tout tenu à honorer la tradition de cette fête de fin d’année. Elle s’en voulait un peu de laisser Lyana seule pendant cette période, mais compte tenu du lieu où Amalia et Allira se rendaient et quoi qu’elle éprouvait une affection certaine pour sa cousine, il avait été préférable qu’elle reste aux Asturies et ainsi éviter un potentiel drame politique.

Elle avait de ce fait missionné une servante pour qu’elle remette son cadeau à sa cousine le jour dit. Elle ne connaissait pas encore véritablement sa parente car cela faisait encore trop peu de temps qu’elle avait été accueillie par sa famille, aussi avait-elle opté pour un discret bracelet dorée qu'elle avait acheté lors de Mabon, mais assez large pour avoir fait graver la date d’arrivée de Lyana au domaine (elle ne pouvait certes pas lui offrir une épée ou sa mère ne s’en remettrait pas !).

Lyana avait été arrachée du seul foyer qu’elle avait jamais connu jusqu’à présent, pour finalement vivre certes avec sa véritable famille, mais qui lui était totalement inconnue. Le choc avait été abrupte pour elle, mais ses parents avaient fait le choix qui leur apparaissait le plus juste en fonction des valeurs qui étaient les leurs et dorénavant, la plupart d’entre eux ferait en sorte qu’elle se sente chez elle dans leur famille.

Amalia ne pouvait pas écrire tout cela dans une lettre, mais c’était le message qu’elle voulait faire passer par ce menu présent. Le symbole d’un nouveau départ, différent, effrayant peut-être, mais qui n’en valait pas moins la peine qu’une vie chez les renonçantes.

De l'eau avait coulé dans la Kadarin depuis que j'avais quitté la maison de la sororité. Un second solstice était passé et une fois de plus j'avais songé aux femmes qui avaient constitué ma famille jusqu'à ce que je n'ai été dans l'obligation légale de les quitter. Ce jour de solstice venait marquer une nouvelle étape, un pas de plus dans un monde que je ne considérais toujours pas comme étant le mien. 

Je m'étais levée tôt, même si les réjouissances de la veille m'avait tenu éveillée plus longtemps que de coutume. Toujours en chemise de nuit, une servante vint me trouver. Elle sortit de derrière son dos un petit paquet avec sur le visage une expression mystérieuse. Tandis que je croisais son regard, elle m'expliqua que c'était un présent venant de ma chère cousine qui, bien qu'absente, avait tenu à me faire un présent. Un vrai sourire s'était affiché sur mon visage et j'avais attendu que la domestique sorte de ma chambre pour ouvrir le cadeau enrubanné. Gérant mal mon impatience, j'avais glissé quelques doigts à l'intérieur, je sentis quelque chose de fin et de froid. Il s'agissait d'un bracelet doré qui étincela à la lumière du matin, je l'essayais aussitôt. Je l'ôtais l'instant d'après pour l'étudier de plus près, le bijou était gravé d'une date, celle de mon arrivée chez les di Asturien. Je songeais en souriant à ma chère cousine. J'espérais la revoir bientôt, elle me manquait. Je décidais aussitôt de lui fabriquer quelque chose, une petite figurine en bois que je sculpterai au couteau.

Quelques jours plus tard.

Le trajet du retour s'était déroulé avec la même lenteur exaspérante, mais contrairement à l'aller, celui-ci avait laissé tout le temps qu'il fallait à Amalia pour réfléchir. L'ambiance au castel Hastur s'était bien évidemment détérioré après les événements du solstice, les esprits bien moins à la fête qu'à l'arrivée de tous les convives. Quant à elle, sa première nuit n'avait pas été de tout repos et à cette pensée, elle fronça les sourcils un court instant. Elle repoussa ce problème avant d'inquiéter encore sa jumelle, mais elle était bien contente de retrouver la chaleur du foyer familial... qu'elle devrait quitter elle aussi dans quelques semaines. Oh, pour un peu, elle se serait prise la tête entre les mains. Elle avait peur, peur de ce changement. Elle n'avait jamais quitté son foyer, sauf pour des périodes très courtes et dès la première occasion, elle allait passer de leur petit domaine où elle connaissait tout le monde à l'immense (en comparaison) demeure des Hastur, pour une durée indéterminée.

Toute à ses angoisses, le temps avait filé, entre haut et bas émotionnel. Mais finalement, elle commença à reconnaître le paysage, le village puis la maison. Enfin. Elle s'étira discrètement à peine les deux pieds posés à terre et embrassa sa mère qui était venue les accueillir à l'entrée. Allira fila sans demander son reste et Amalia aurait certainement fait la même chose si son attention n'avait pas été attirée par une nouvelle arrivée.

- S'dia shaya Lyana, salua-t-elle l'arrivante avec un sourire.

Amalia accueillit la démonstration d'affection de sa cousine sous le regard appréciateur de sa mère. Il y avait avec au moins une de ses jumelles que les choses avaient prises le chemin qu'elle avait voulu. Amalia étreignit Lyana en retour, surprise mais ravie, elle en oubliait un peu ses soucis.

- Tu m'as manqué aussi. Tu as passé un bon solstice ?

Leurs bagages étaient déchargées pendant qu'elles discutaient. Amalia se rendait compte qu'elle ne savait pas comment se passaient les solstices au sein de la sororité. Sûrement était-ce moins guindé que leurs soirées de famille, même si elle n'avait jamais trouvé l'ambiance trop pesante jusqu'à présent, qui plus est maintenant qu'elle avait vécu une soirée de solstice avec le gratin Hastur.

- Si nous allions nous réchauffer au salon avec du jaco et des pâtisseries au miel ? La route m'a donné faim et soif.

Elle regarda Lyana et sa mère tour à tour. Elles n'allaient pas rester sur le parvis pendant des heures et elles seraient bien mieux installées au chaud pour discuter des derniers jours.

Toute à son étreinte, Amalia échangea un regard avec sa mère. Était-ce donc cela que d'avoir des enfants ? Difficile de savoir rester ferme quand ils se pendaient à votre cou en soutenant qu'on leur avait manqué.

- La... Une prochaine fois, c'est promis.

Elle cacha sa maladresse derrière un sourire qui se transforma en rire en l'écoutant.

- Dis-moi seulement s'il arrive que tu n'aies pas faim !

Sa mère montra son assentiment à sa réflexion, listant sans exaspération tout ce que sa cousine pouvait ingurgiter en une seule journée. Après cinq enfants, elle avait l'habitude des fringales à toute heure du jour.

Le départ de Lyana donna l'occasion à Amalia de faire un résumé très rapide des événements s'étant déroulés à Hastur à sa mère et en particulier de la rapide discussion qu'elle avait eu avec la benjamine de la famille. Elle avait pu échanger plus de quelques mots avec Dorilys les jours suivants le solstice. Encore maintenant, Amalia ne savait pas quoi en penser. Tout cela allait être plus que dépaysant. Et il allait falloir qu'elle en parle à Lyana.

Les deux femmes avaient migré vers le hall et c'est à cet endroit que Lyana les retrouva. Amalia avait retiré sa cape et elle accepta le paquet tendu avec surprise mais plaisir.

- Merci, mais tu n'aurais pas dû !

Amalia déballa le tissu et elle observa la cheval sculpté avec attention, notant les détails, plus touchée qu'il n'y paraissait.

- Merci, répéta-t-elle une nouvelle fois. Tu l'as fait toi-même ?

Lyana confirma qu’elle avait sculpté elle-même la petite figurine, ce qui rendait le cadeau encore plus précieux aux yeux d’Amalia. Mais fort heureusement, sa mère avait tourné les talons au retour de Lyana, appelée pour quelques affaires domestiques, et elle n’avait pu entendre la mention « mon couteau » qui aurait peut-être donné droit à une conversation dont Amalia appréciait de pouvoir se passer, du moins pour l’instant.

- J’en prendrais le plus grand soin.

Elles allèrent au salon et Amalia se débarrassa de sa cape sur le dossier d’un fauteuil avant de s’y asseoir. Il n’y avait pas à dire, il n’y avait vraiment rien de mieux que d’être chez soi. Elle n’oublia pas les remerciements de sa cousine quant à son propre cadeau qu’elle n’avait pas pu lui remettre elle-même.

- Je n’étais pas sûre que tu apprécies les bijoux, alors… j’ai opté pour quelque chose de discret.

Elle avait gardé la sculpture équine dans ses mains, ses doigts caressant les aspérités sans y réfléchir.

- Ça n’a pas dû être facile pour toi de rejoindre ta famille après toutes ces années au sein de la sororité. Ce n’est peut-être toujours pas simple pour toi… reprit-elle, pensive. Le changement avait dû être tellement brutal pour Lyana… Mais j’espère que tu sais que l’on est tous contents de t’avoir parmi nous.

Elle fit une pause et un sourire en coin releva ses lèvres, pour adoucir les mots qu’elle allait prononcer.

- Enfin, presque tous. Sa jumelle pouvait être aussi butée qu’un chervine quand elle s’y mettait. Et nous continuerons tous à faire en sorte que tu te sentes comme un membre à part entière de la famille.

Elle n’avait jamais eu l’occasion, jusqu’à présent, d’exprimer ses sentiments à sa cousine et elle était contente d’avoir la possibilité de le faire aujourd’hui. Même si c’était un peu embarrassant.

- Comment se passe les solstices à la sororité ? demanda-t-elle, curieuse de savoir s’il y avait des différences entre leurs célébrations familiales parfois guindées, comme chez les Hastur, et celles de ces femmes libres.

Amalia ôta sa cape et elles s'installèrent dans les fauteuils confortables du salon. Elle était contente que j'ai apprécié son cadeau et je hochais vivement la tête.

- Je le mettrais lors des jours de fête. Ainsi, je penserai toujours à toi en le portant.

C'est ainsi que Amalia aborda le sujet mon arrivée à Asturias. Je levais les yeux vers elle alors qu'elle me disait que cela n'avait pas été facile. Facile... Non, cela ne l'avait pas été. La suite me toucha bien que je tentais de n'en rien laisser paraître.

- Je me sens... moitié moitié. Pas tout à fait d'ici et pas tout à fait de là bas... C'est difficile à expliquer. Leana me manque beaucoup.

Amalia poursuivit, sa curiosité allait à la fête du solstice qui se déroulait au sein de la maison de la sororité de l'épée. N'ayant pas prononcé mon serment, je pouvais en parler.

- Eh bien... Nous faisons la fête bien sûr. Il y a un repas avec tout le monde et Jerana la cuisinière cuisine pendant plusieurs jours pour que tout soit prêt. J'aimais bien passer chiper des gâteaux en passant après mes entraînements au couteau. Jerana était gentille, elle me laissait toujours en prendre un, mais j'en avais souvent deux ou trois dans mes poches.

A ce souvenir, je me mis à rire.

- Après le repas, il y avait souvent des danses et ensuite, on écoutait certaines raconter des histoires près du feu. Mes préférées étaient les histoires effrayantes et j'en ai entendues à m'en faire dresser mes cheveux sur la tête ! Ce sont de bons moments... Tu sais... j'aimerais bien être là bas. Ici...

Je haussais les épaules.

- C'est difficile, je n'arrive pas à être la personne que vous voulez que je sois.

C'était dit comme une évidence.

Et je ne pense pas en âtre capable un jour.

- Il n'y a pas de grande différence entre nos façons de fêter le solstice alors, mais… pourquoi des histoires effrayantes ?

Malgré elle, un frisson d'horreur la fit frémir et des souvenirs lui revinrent en mémoire. Même si les années avaient passé, Amalia n'était pas beaucoup plus courageuse qu'à l'époque. Mais enfin, il fallait de tout pour faire un monde et il était plus amusant de constater que sa jeune cousine était, aujourd'hui comme hier, un ventre sur pattes.

- Quel genre de gâteau ? Quels sont tes plats préférés ?

Sa question arriva en même temps qu'une servante avec la jaco et les pâtisseries promises. Sa mère avait dû faire le nécessaire après les avoir quitté. Amalia précisa à la servante qu'elle ferait le service, mais elle releva la tête de sa tâche quand elle entendit les propos de Lyana. Elle termina de verser le jaco odorant dans la seconde tasse qu'elle tendit à sa cousine, ce qui lui laissa le temps de réfléchir à ce qu'elle pouvait répondre.

 - Tu sais, personne n'arrive jamais à être la personne que les autres attendent que l'on soit. Personne ne s'attend à ce que tu changes en à peine une année. La sororité est vraiment… un monde à part.

Un monde qu'Amalia ne concevait bien sûr pas. Elle avait grandi en tant que privilégiée et elle ne se voyait pas, demain, parcourir les routes, affranchie des conventions de leur époque. C'était exactement comme Lyana qui avait été arrachée à la sororité et parachutée dans une famille inconnue, mais en pire car sa situation était bien réelle.

- La vie n'est qu'une suite de compromis que l'on fait envers soi-même et les autres. Quelle que soit la situation, pense seulement à en retirer le meilleur possible, même si c'est dur. Fais de ton mieux Lyana, je sais que tu en es capable.

Et avec un sourire, elle lui tendit l'assiette de pâtisserie. Elle ne savait pas si ses paroles allaient apaiser sa cousine, mais c'était son avis. Elle aussi devrait trop vite à son goût trouver le côté positif à sa situation loin des gens qu'elle aimait et qui avait constitué son quotidien pendant dix-sept ans.

Sa réflexion me fait rire.

- Et pourquoi pas ? Si tu savais ce que certaines m'ont raconté ! Les histoire avec les hommes chats ont toujours été mes histoires préférées. Je pourrais t'en faire le récit, si tu veux...

Amalia ne semble pas très à son aise, elle me questionne sur ce que je préfère. Cela n'est guère difficile, mes préférences sont marquées. J'ai des goûts simples, je sais ce qui est bon. Je réponds avec vivacité, comme toujours.

- Les beignets, seulement quant ils sortent du bain d'huile. Ce n'est pas anodin, j'ai toujours préféré ce qu'on mange lors des fêtes. Sinon, j'aime beaucoup le ragoût de lapin cornu. 

Rien que d'en parler, je sens mon estomac qui se rappelle à mon bon souvenir. Heureusement, j'aperçois une servante qui arrive avec un plateau bien rempli, ce qui me donne immédiatement du baume au cœur. Il n'est rien de si bon que la nourriture et il est de notoriété publique que j'aime avoir le ventre plein. Laissant Amalia faire le service, je l'observe d'un regard attentif. Il n'y a rien de nouveau, je l'ai toujours observée ainsi. Ses paroles sont un baume sur les plaies que je porte en moi. Elle a toujours su comment me parler, comme Leanna.

- Ici... aussi, Amalia.

A ses paroles, je lui souris. Elle est si compréhensive, si gentille. Je saisis l'assiette qu'elle me tend tout en effleurant sa main. Une intimité que je ne partage avec personne d'autre.

- Je fais de mon mieux même si... je sais que j'agis parfois sans réfléchir.

Un soupir m'échappe. 

- Tout semble si facile pour vous.

J'évite de dire le prénom de l'autre elle qui n'est que son pâle reflet. Un astre sans lumière à côté d'une lune.

Emportée par le rire de sa cousine, Amalia en fit de même, quoi qu’un peu plus crispée. Cette idée de raconter des histoires horribles dépassait ses capacités de compréhension, même en prenant en compte son manque flagrant de courage dans ce genre de situation.

- Je ne suis quand même pas certaine d’avoir envie de les entendre, répondit-elle en fronçant le nez. Mais si tu as des récits sur des endroits éloignés que tu as visités, sans hommes-chats, je serais ravie de les écouter. Je ne me suis jamais beaucoup éloignée de la maison.

Les beignets huileux donc… On ne pouvait pas dire que cela avait étonné Amalia. Elle avança donc l’assiette des beignets vers sa cousine, attentive également à ses réponses. Elle se rendait un peu mieux compte maintenant de la pression que Lyana pouvait ressentir face aux attentes de ses parents ou des gens qui l'entouraient aujourd'hui. Ce qui était naturel et facile pour elles ne l'était visiblement pas pour Lyana.

- Tu penses qu'elle s'en sortirait mieux que toi si elle se trouvait avec les Renonçantes ? Tu me diras, elle peut être pénible parfois alors avec un peu de chance, tes camarades feraient peut-être tout ce qui est en leur pouvoir pour nous la rendre dans les plus brefs délais !

Et de rire à cette idée. La principale intéressée n'était pas présente, alors Amalia pouvait bien se permettre cette réflexion. Après tout, malgré tout l'amour qu'elle avait pour sa jumelle, cela ne l'empêchait pas de reconnaître ses quelques défauts dont elle avait été elle-même la victime parfois.

- Et moi, je ne m'en sortirais certainement pas mieux, alors je trouve que tu fais preuve d'une capacité de résilience que j'admire. Quand à agir et parler sans détour, cela peut être une qualité précieuse, il faut juste savoir avec qui, où et quand faire preuve de franchise. Et cela, il n'y a que l'expérience qui te permettra de le déterminer.

Amalia souffla doucement sur le jaco fumant avant de porter la tasse à sa bouche. Après le trajet chaotique en calèche, ce petit plaisir simple faisait du bien.

- Et tu sais que si tu as le moindre souci, tu peux venir m'en parler ? Je serais toujours disponible pour toi.

Sa phrase à peine terminée, la jeune fille se mordit la lèvre et mangea une bouchée de la première pâtisserie qui lui tomba sous la main. Toujours oui... mais la distance n'allait pas faciliter la tâche, et Amalia, pensive, se replongea dans les mêmes pensées qui lui tournaient dans la tête depuis le soir du solstice.

Visiblement, ma cousine ne partageait pas mon goût de l'aventure. Ecoutant ses paroles d'une oreille distraite, je me tais quelques secondes avec de répondre avec un enthousiasme non feint.

- Avec des banshees !

C'est pire qu'avec des hommes chats et je ris d'un air malicieux.

- Naaan... Certaines je les ai entendues tellement de fois que je pourrais sans mal te les raconter. Je réclamais souvent les mêmes. Je crois me rappeler d'une histoire avec une chieri. Celle-là fait pas peur, elle est juste étrange.

Amalia poussa une large assiette bien garnie de beignets vers moi, je ne me fais pas prier pour en prendre deux d'un coup. Croquant dedans, je m'aperçois qu'ils sont aux pommes, mes préférés. L'hypothèse soulevée par Amalia me surprend et je la regarde l'air horrifié alors qu'elle rit. 

- J'peux pas dire, c'est un univers différent et on n'y évolue pas pareil qu'ici... Et puis, elles ont leur propre manière de résoudre les conflits. J'ai déjà vu deux femmes attachées ensemble durant une décade parce qu'elles passaient leur temps à se crêper le chignon. Là bas, on ne te rend pas, tu comprends. Tu dois t'y faire, coûte que coûte. Alors... elle devrait s'y faire. Je pense pas que ça serait facile.

La suite m'étonne plus encore. 

- M'admirer, moi ?

Ca me dépasse. Moi, c'était elle que j'admire ! Reste que ses conseils sont censés, je fais un geste de la tête tout en tripotant mon dernier beignet. Le gras me laisse les doigts huileux, je les suce sans complexe.

- Dis. Tu sais qui a tué mes parents ?

Je lui jette un regard interrogatif. Personne ne m'en a jamais parlé. J'ai juste eu droit à "tes parents ont été assassinés, c'est comme ça que nous t'avons perdue. Nous sommes ta famille, tu vas désormais vivre avec nous", point. Un peu pauvre.

Il n'y avait plus de doute possible sur le fait qu'elles étaient diamétralement opposées, au moins en ce qui concernait les histoires à raconter au coin du feu. Des hommes-chats, des banshees... Rien de moins que des sujets qui amenaient des frissons à Amalia, qui ne rêvait que d'une petite vie tranquille loin de tout danger (note HJ de l'auteure : c'est faux !). Mais cette fois, la jeune fille était préparée et elle fronça le nez en exagérant sa réaction.

- Ni homme-chat, ni banshee ! Pourquoi pas plutôt, je ne sais pas, des petits oiseaux ?

Les oiseaux, petites choses inoffensives, voila quelque chose qui convenait bien mieux à ses goûts.

Comme à chaque fois, Lyana n'attendit pas un autre signe de sa part pour attaquer les pâtisseries. Attentive, elle écouta ses explications suite à ce qu'elle avait cru être une plaisanterie de sa part et pencha la tête légèrement de côté.

- Pourtant, tu es ici non, avec nous ?

Elle n'était pas celle qui connaissait le mieux les Renonçantes, mais il lui semblait que si Lyana était revenue parmi les siens, il pourrait en être de même pour d'autres. Mais peut-être se trompait-elle et sa cousine était une exception parmi la règle.

Elle sourit doucement à Lyana quand elle s'étonna qu'elle pouvait être admirée.

- Oui toi, qui d'autre ? C'est difficile de changer ainsi de vie et tu t'en sors très bien, crois-moi.

Certes, Lyana était encore une tête brûlée et elle l'avait mise dans l'embarras trop souvent ces derniers temps pour les compter (tout comme sa jumelle), mais à chaque fois, Amalia se rappelait tout ce que sa jeune cousine avait vécu pour en arriver là aujourd'hui et elle finissait par oublier ces désagréments. Elle ne s'attendit toutefois pas à la question que Lyana lui posa. Amalia baissa sa tasse sur ses genoux et observa la posture d'attente de sa parente. Elle avait peu de réconfort à lui offrir malheureusement.

- Tout ce que je sais, c'est qu'il est question de vendetta, mais je n'ai aucun nom à te donner, je suis désolée. Tu auras peut-être plus de chance avec Varu. S'il accepte de parler.

Ce qui était moins que sûr...

Je tourne un regard peu convaincu vers Amalia.

- Des petits oiseaux ?

Etrange réflexion.

- Dans quel but, pour les cuisiner ?

Quel autre intérêt y avait-il à parler d'oiseaux... Hum... Elle devait plaisanter, c'est ça, elle plaisantait !

Je m'aperçus que Amalia tentait de comprendre. Visiblement, elle ne connaissait pas bien les lois alors je lui expliquait celle, impitoyable, qui existait à la sororité des femmes guerrières.

- Je n'avais pas d'autre choix, Amalia. Je veux dire d'être avec vous... Je suis mineure. Lorsqu'on est venue me prendre, je ne pouvais pas refuser. Pour prêter serment chez les renonçantes, il faut avoir quinze ans.

Je ne pouvais me résoudre à la croire. Qu'avais je d'estimable ?

- Moi je trouve que je m'y prends comme un patachon. J'essaye, tu sais, de faire le mieux possible mais y'a toujours quelque chose qui fait que ça dérape. Je peux pas résister... Je dois être anormale.

Amalia ne savait rien sur les circonstances du tragique décès de mes parents, lâchement exécutés. Je soupirais de frustration.

- Alors j'irai voir mon oncle. S'il sait quelque chose, je veux l'entendre. J'ai le droit de savoir !

J'avais broyé le beignet dans ma main et des morceaux de pomme avaient été projetés sur ma jupe.

- Reish ! Oups, désolée !

Je l'essuyais de mon mieux.

À première vue, sa piètre tentative d’humour tombait à plat. Lyana lui demanda pour quelle raison il leur fallait parlait d’oiseaux plutôt que de créatures dangereuses comme des banshees ou des hommes-chats. Et encore une fois, elle ramena la conversation à son estomac, ce qui tira un nouveau rire à Amalia.

- Non, pas pour les manger, mais simplement parce qu’ils sont inoffensifs.

La liberté avait échappé de peu à sa cousine, qui avait fêté ses quinze ans parmi eux. Quelques mois de plus…

- Mais rien n’oblige à prêter serment n’est-ce pas ? Si Allira se retrouvait dans cette situation, les Renonçantes ne pourraient pas exiger qu’elle devienne l’une des leurs ?

Amalia sentait très bien, même sans empathie, à quel point sa cousine souffrait de la situation actuelle et des événements qui l’avaient privés de l’avenir auquel elle avait aspiré sa (courte) vie durant. Tiraillée, Amalia ne savait pas trop comment elle devait réagir, entre son envie de voir sa parente heureuse, même si c’était auprès des Renonçantes, ou l’égoïsme qui lui commandait de vouloir la garder près d’elle.

- Est-ce vraiment si horrible de vivre avec nous ? demanda-t-elle en regardant ses mains autour de sa tasse de jaco chaud.

Chassant les idées moroses qui lui venaient à l’esprit, Amalia s’ébroua mentalement et raccrocha un sourire à ses lèvres.

- Tu es un patachon ! Mais le principal, c’est de le savoir et de t’améliorer, petit à petit.

La jeune fille acquiesça ensuite, rajoutant :

- S’il ne veut rien dire, peut-être pourrais-tu essayer auprès des soldats les plus anciens ? L’un d’eux acceptera peut-être de parler, si tu sais plaider ta cause…

Sa cousine saurait juger de quoi, entre la plaidoirie enflammée ou les larmes, fonctionnerait le mieux pour atteindre son but. Puis catastrophée, Amalia reposa en hâte sa tasse sur la petite table basse qui leur faisait face, les oreilles égratignées par le juron.

- N’étale pas trop la tâche ou ce sera difficile à rattraper. On peut dire que tu sais comment apporter de l’animation... ajouta-t-elle, sans trace d’énervement dans la voix.

Ça avait été définitivement la bonne décision de ne pas emmener Lyana chez les Hastur !