[Eanair 554] Complots en jupons

Les mois avaient filé depuis les festivités de Mabon. Le solstice était lui aussi passé et nous étions revenues avec Amalia de chez les Hastur. Tout cela avait un goût étrange tant pour l'avenir qui se profilait que pour ce que nous avions vécu là-bas. Cet assassin qui avait tenté de tuer un gardien restait malgré moi gravé dans ma mémoire. De même que les méthodes peu conventionnelles de Raul-Gabriel. Après la gifle à ma cousine (et la cruche d'eau sur Amalia, je l'avais appris ensuite) il avait jeté une chaise sur l'agresseur, quel homme fascinant et peu commun qui méritait qu'on ailler gratter sous son aspect si superficiel et froid.

Mais revenons en aux faits... Amalia avait accepté la proposition de devenir Dame de Compagnie de Dorilys Hastur une fois mes noces célébrées, au printemps sûrement ou au solstice d'été, ce n'était pas encore figé. L'ambiance aux Asturies s'étaient apaisées, j'avais hurlé, tempêté, jeté des choses, lesquelles...allez savoir mais ma colère était retombée. Après tout c'était pour la forme car j'acceptais l'union avec Ian, j'espérais que notre complicité nous aiderait à grandir mutuellement et que nous saurions agir en adultes responsables (vous voyez les problèmes futurs non? deux immatures ensemble mais on avisera en temps et en heure).

Ce jour là nous étions @Amalia di Asturien et moi dans un des salons, la cheminée flambait. Ce n'était pas un boudoir mais nous préférions cette pièce plus chaude, plus petite. Ma soeur m'expliquait vainement comment réaliser un point complexe pour terminer une broderie sur une robe de nuit, je n'arrivais pas à obtenir ce que je voulais et cela avait le don de m'agacer. Et plus je m'agace moins j'y arrive.

Une servante nous avait indiqué qu'une calèche aux armoiries des Ardais était arrivée mais que nous n'étions pas demandées pour l'heure. Un moment après, Griselda, la gouvernante arriva accompagnée d'une jeune comyne et nous demanda de bien vouloir l'accueillir. Nos parents avaient discussions à mener et nous les retrouverions pour le repas du soir. Elle venait de poser ses affaires dans une chambre destinée aux invités mais elle ne pouvait rester seule.

Je regardais Amalia et me demandais de quel bois était fait cette montagnarde. Je me levais, posais mon ouvrage sur la table devant nous.

- Ben dia vai damisela. Allira di Asturien su serva et voici ma soeur Amalia. Bienvenue dans notre demeure. Venez avancez, venez nous rejoindre. Les fauteuils sont confortables et la chaleur de l'âtre appréciable.

Je désignais un des fauteuils libres près de la cheminée.

- Avez vous fait longue route ce jour?

Son propre ouvrage sur ses genoux, Amalia avait les yeux rivés sur les doigts de sa jumelle qui peinait à terminer sa couture. Elle avait pourtant bien essayé de lui expliquer, appliquant ses propres conseils sur le chemise abandonnée sur ses jupes, reprenant patiemment toutes les étapes jusqu’au résultat final. Résultat sans fioriture pour l’aînée, simplement solide et pratique. Malgré cela, Allira perdait patience et il n’allait pas falloir beaucoup de temps avant qu’elle ne voue aux gémonies sa robe de nuit, son fil et son aiguille.

Pour sa part, Amalia avait consciencieusement décidé de mettre de côté tous les événements des derniers mois. Avant de partir pour Neskaya, elle s’était faite une joie de cette chance de quitter la maison, de profiter de la fête et de la foire, de passer un moment privilégié avec sa sœur. Ces moments avaient été trop rare ces dernières années à cause de sa tutelle auprès de leur famille Lanart. Mais à partir de ce moment, les choses étaient allées de mal en pis. Quant au solstice, s’il n’était physiquement rien arrivé ni à sa jumelle ni à elle-même, la célébration n’avait pas été de tout repos. Après avoir vu le gardien de Corandolis étendu sur un sol froid avant qu’elle ne se perde dans le Surmonde durant Mabon, elle avait assisté à une tentative d’assassinat contre le gardien de la Tramontane. Cela faisait beaucoup de gardien qu’on essayait (ou pas) d’envoyer dans la tombe, de son avis de néophyte. Quant à elle…

L’entrée de la damisela Ardais lui permit de ne pas trop aborder ce sujet sensible, même mentalement. Amalia se tourna à moitié avant de se lever pour saluer l’arrivante à la suite de sa jumelle, sans conteste une parfaite hôtesse de maison.

- S’dia shaya damisela.

Elle commanda l’habituelle collation dans ce genre de situation avant le départ de la gouvernante et d’une pensée, chercha la trace de leur cousine, l’invitant à les rejoindre dans le petit salon, si et quand elle le souhaitait. Une compagne extérieure à la maisonnée, voila un bon entraînement pour leur sauvageonne de parente de mettre en pratique ses leçons d’étiquette.

- Une bonne tasse de jaco devrait vous faire un grand bien après tout ce chemin, ajouta-t-elle pour la nouvelle venue, concluant ainsi cette première approche.

Visiblement la demoiselle Maura se sentait plus fatiguée que de raison et s’excusa pour aller se reposer un peu, ne souhaitant pas dans un premier temps nous imposer sa présence non conviviale, elle n’avait pas l’énergie pour une conversation.

- N’ayez crainte damisela @Maura Ardais nous nous verrons une fois que vous aurez pris un peu de repos, soyez sans crainte, nous ne comptons pas bouger d’ici de sitôt avec ma soeur.

Elle nous laissa donc et une fois avec ma soeur je soupirais.

- Eh bien toutes ces collations et pâtisseries rien que pour nous, quelle chance n’est-ce pas?

Je déposais donc sans attendre mon ouvrage peu avancé, comme toujours, il était toujours en cours d’avancement en fait. Et je regardais avec envie ces pâtisseries. Pourtant je grimaçais, la robe que j’affectionnais me serrait un peu.

Je me relevais et passais mes mains sur mon corps, ventre, reins… Oui visiblement je m’étais arrondie, la dévaine. Néanmoins loin de m’effrayer cela me fit sourire.

- Voilà ce qui arrive quand on a plus d’exercice. Mon fiancé n’est pas dans le coin et je ne vais surement pas aller trouver quiconque ici. Quand partons nous visiter des parents bredilla? Que je ne finisse pas l’hiver comme une grosse chervine. J’ai besoin d’exercices !

L’Ardais partie se reposer après le long trajet qui l’avait amené jusqu’aux Asturies, Amalia se réinstalla sur le canapé, suivant des yeux la couture abandonnée par sa jumelle. Désireuse de rester occupée et parce qu’elle connaissait sa sœur comme sa poche, Amalia reprit à son compte le vêtement abandonné, dans le but de terminer ce qui avait été commencé. Les occasions de s’exercer à ce point complexe se représenterait, quand Allira déciderait de se remettre à la couture.

Quoi qu’elle gardait le nez sur la robe de nuit, concentrée sur son aiguille et son fil, Amalia ne rata aucun mouvement de sa copie. Ce n’était pas la première fois qu’elle se plaignait ainsi depuis quelques temps. Si Allira continuait à vider le garde-manger de la maison, ce n’était plus sur des robes de nuit qu’elles allaient devoir exercer leur talent de couturière, mais sur les robes de sa jumelle.

- En effet, c’est une chance ! Même si je ne m’inquiétais pas outre mesure pour toutes ces bonnes choses. Il y a toujours quelqu’un dans la maisonnée pour ne pas gaspiller la nourriture.

Ce n’était pourtant pas les pâtisseries qui l’inquiétaient le plus. Un petit sourire releva les coins de ses lèvres, satisfaite de voir que sa jumelle se tenait bien depuis l’annonce de ses fiançailles. Non pas qu’elle avait quelque chose à redire à ce que faisait sa sœur ou avec qui elle le faisait, mais leur cousin lui avait paru suffisamment sympathique (si l’on oubliait la cavalerie avec laquelle il leur avait annoncé ce mariage) pour ne pas vouloir qu’il soit peiné de cette possible trahison de la part de sa promise.

Mais tout cela l’inquiétait donc moins que le reste :

- Est-ce que tu as demandé à la leroni ? Peut-être que tu couves quelque chose ?

Prendre l’air leur ferait peut-être vraiment du bien, finalement. Mais non pas un voyage éreintant sur les routes.

- Visiter des parents, alors que nous avons ton mariage à préparer ?! Et mon départ chez les Hastur ? Nous avons encore mille choses à faire, c'est impossible ! Et cela ne finissait pas de donner des cauchemars à la pauvre Amalia. Mais peut-être qu’une longue balade te ferait plaisir ? Le soleil sanglant, le vent frais. Nous pourrions faire ça plus souvent si tu veux faire de l'exercice et si la neige nous en laisse l'occasion.

Et graver dans leur mémoire les paysages de leur patrie, qu'elles allaient quitter pour longtemps, si ce n'était pas définitivement.

J’avais par réflexe tendu ma main vers les pâtisseries appétissantes du jour. J’hésitais, passant au dessus de ses dernières sans pour autant parvenir à me décider pour aucune d’entre elles. J’en ai pris une que j’ai approché de mon nez, je l’ai senti et grimacé. Non ce n’était pas à mon goût et pire cela me dégoutait, quelle idée.

Je soupirais sans bien comprendre ce qu’il se passait.

- Pfff aucune ne me donne envie, je sais pas trop.

Cela m’agaçait vraiment.

- Oui on trouve toujours un ventre pour avaler et faire disparaître la nourriture ici. Moi la première mais… j’ai faim mais ces gâteaux ne m’inspirent pas confiance aujourd’hui.

Ma main se posa sur mon ventre alors que cela tournoyait à l’intérieur. Avais-je mangé quelque chose qui ne passait pas ce matin? Non rien d’extraordinaire.

La question suivante m’arrêta un instant.

- Non je n’ai rien vu avec elle mais je t’avoue ne pas me sentir dans mon assiette. Ca va ton ventre? Je me demande si le repas était bien cuit ce midi.

La suite sur l’exercice ne me motiva pas plus que cela.

- Non mais je parlais d’un tout autre genre d’exercices voyons. De ceux qui nécessitent la présence de mon fiancé ou un autre volontaire dans le fond.

Et de rire ou grimacer, dur de savoir.

Finalement, Amalia releva le nez de sa couture pour observer sa sœur qui hésitait avec les pâtisseries. On avait beau dire, la gourmandise était bien un trait de caractère que sa jumelle partageait avec leur cousine, mais elle se gardait généralement bien d’en faire l’observation à haute voix. Et à la réflexion, sa jumelle y mettait également bien plus les formes que leur cadette qui sautait sur tout ce qui se mangeait.

Amalia secoua négativement la tête à la question posée :

- Non, tout va bien. Tu as peut-être attrapé froid ?

Les dieux seuls savaient que le temps était rarement clément sur Ténébreuse.

Heureusement, chasser le naturel et il revenait au galop. Un sourire remonta les coins de ses lèvres, même si elle ne savait pas si sa sœur était sérieuse ou si elle plaisantait.

- Tu as réussi à rester sage jusqu’à présent, ce serait dommage de ruiner de si louables efforts maintenant.

Même si Allira n’aurait certainement aucun mal à trouver une âme charitable prête à lui porter assistance en la matière. Amalia reprit la délicate opération de faire un point de couture droit et solide, tout en ajoutant :

- Tu devrais lui demander. Au moins, nous serons fixées et plus de raison de se tracasser. Et ensuite, du repos plutôt que des roulades dans le foin.

Fallait-il s’en inquiéter plus que nécessaire ? Entre la perte d’appétit et les rondeurs… Mais comme souvent dans ce genre de situation, Amalia préférait être la voix de la raison avant de s’affoler inutilement et transmettre son stress (inutile ?) à sa jumelle.

Bon rien ne me donnait envie, enfin non, tout me donnait envie mais je n’avais pas vraiment faim dans le fond. Mais c’était quoi cette passe stupide dites moi. L’indécision ce n’est pas moi, je suis directe et je fonce, et advienne que pourra. Bon du coup je choisis une pâtisserie et me rasseois. Je l’observe, suspicieuse, pourquoi donc tu m’ennuies aujourd’hui? Et je croque à pleine dents dedans, histoire de savourer et d’arrêter de tergiverser.

J’ai une sorte de haut le coeur et je manque de recracher le morceau.

- Vraiment?

Je me vautre alors littéralement dans mon fauteuil en soupirant, gateau toujours en main mais bras tombant de l’acoudoir vers le sol, dépitée :

Je ne suis guère sortie je ne vois pas trop comment j’aurais pu attraper froid mais bon. Peut-être que j’ai mangé ce midi quelque chose que je ne digère pas bien tout simplement je ne vois pas d’autre possibilité.

Je me mis à rire quand elle parla du fait que j’avais réussi à rester sage, c’était en effet un exploit pour moi même si.

- Certes je suis restée presque sage, le soir de solstice ne compte pas en effet, c’est une soirée particulière non? En tout cas… le Dom Carcosa était particulièrement exquis!

Et de rire de cela en me souvenant bien de cette fin de nuit des plus agréables. Et voilà que cela recommençait mon ventre. Je me décidais donc à attraper une clochette et la fis tinter. Une servante arriva prestement et je lui demandais si elle pouvait demander à notre leroni de venir nous trouver car je n’étais pas dans mon assiette.

Sans vouloir remettre en doute les compétences de la cuisinière de la maisonnée, Amalia tendit la main pour prendre une pâtisserie et la porta à son nez avant de croquer dedans. Goût et texture étaient semblables au goût et à la texture des pâtisseries qu’elles mangeaient chaque jour avec gourmandise. Le problème ne venait donc pas de la nourriture. Elle termina le petit gâteau en quelques bouchées supplémentaires et continua patiemment sa couture, pour s’occuper les mains à défaut de son esprit.

Allira s’était affalée dans une position qui n’était pas guère « damisalesque » mais elle s’abstint de commentaire étant donné la situation. Amalia grimaça un sourire, se rappelant pour l’occasion des événements du dernier solstice.

- J’avais oublié cette incartade, avoua-t-elle. Presque sage alors, en effet.

Certes, avec tout ce qui s’était passé, le trouble nouveau qu’elle avait ressenti nécessitait la mobilisation de toutes ses capacités et elle avait de ce fait reléguer la nuit de sa sœur dans la catégorie des informations moins pertinentes à traiter et garder en mémoire.

- Disons que dom Damas était ton joker et maintenant, tu essaies d’être sage jusqu’à ton mariage. À ce moment là, la question ne se posera plus, Ian sera certainement ravi de pourvoir à tous tes besoins en la matière.

Amalia continuait d’essayer de parler mariage de manière légère, même si elle éprouvait toujours des sentiments conflictuels quant à la trajectoire que prenait trop vite leur vie à chacune. Le temps passait décidément trop vite quand on voulait précisément qu’il s’étire à l’infini.

La servante entra et ressortit du salon très rapidement, la leroni ne tarderait certainement pas à apparaître à sa suite. Amalia reposa une nouvelle fois sa couture à son côté, demanda distraitement à sa jumelle de s’asseoir correctement avant l’arrivée de la leroni et reprit une autre pâtisserie, bien décidée à garder ses doigts occupés à quelque chose.

Je me suis permise un franc sourire, même si j’avais eu un ressenti assez particulier après cette nuit de solstice. Je m’étais sentie totalement vidée, épuisée, certes le Dom Carcosa était un amant de talent, un homme de ressource et aux idées novatrices mais tout de même. J’avais du être particulièrement marquée par cette tentative d’assassinat de gardien devant nous.

Néanmoins je rejoignais l’avis de ma soeur j’avais été presque sage et surtout c’était soir de solstice, qu’y pouvais-je? qui étais-je pour refuser les plaisirs que m’offrait la vie, j’avais la chance d’être belle, désirable et j’aimais à men servir !

- Soit, considérons donc que ce fut mon erreur de solstice mais que dorénavent je serai sage et parfaitement comblée par Ian.

En soit, je ne doutais pas qu’il puisse satisfaire mes envies et besoins. Nous nous étions parfaitement assortis et unis même mentalement à Mabon, la découverte de l’autre avait été un régal et surtout avait eu un goût différent pour moi. C’était le premier homme que je connaissais de longue date et que j’appréciais et c’était réciproque. Nous pourrions nous entendre c’était certain, nous y trouverions du plaisir aussi mais ne risquai-je pas de trouver l’ennui aussi? Rha comme il était difficile pour moi d’envisager cela.

Je soupirais quand ma jumelle me demanda de bien me tenir. Mais j’obéis, elle était bien la seule à qui j’accordais ce droit sur moi, de me dicter certains actes. Presque droite, je faisais au mieux mais maintenant je commençais vraiment à avoir des crampes douloureuses. Je n’allais pas bien et je n’avais pas du tout faim. Que diable faisait cette maudite leroni?

- Mais que fait-elle? Notre Manoir est-il si grand qu'elle s'est perdue? Jamais là quand on a besoin d'elle bon sa... ah.... reish !

Je pestais et rageais mais je n'aimais pas la situation, cela n'allait pas !