La fête de Mabon : du côté de la Tour

Le voyage avait été long, trop long, d'un ennui mortel même, je ne voyais pas comment l'envisager sous un autre angle. Bien entendu cette bonne et brave Bruna m'avait conté toutes les histoires de sa connaissance, j'ai bien vu aussi qu'elle s'était essayé à en imaginer pour faire que le temps s'étire plus vite, hélas ce fut sans succès. J'avais été malade des mois durant, j'étais passé aux portes de la mort disait-on et pourtant j'étais bien vivante dorénavant. La leroni qui était venue me voir régulièrement disait que mes canaux étaient fonctionnels et que j'avais du laran. La bonne affaire que cette histoire d'éveil du laran, rien en vue, pas un don, rien, on a passé des heures à me parler d'esprit à esprit, était-ce ma faut si je n'entendais rien et si personne ne m'entendait? Avais-je refuser d'essayer d'allumer cette bougie, de faire voler la plume? Non au contraire j'avais été docile et appliquée et tout cela pour rien.

Cela me mettait quelque peu en colère d'y songer et sans le réaliser j'avais resserré mes doigts sur Rouky qui dormait sur mes genoux, il s'ébroua et couina, j'étais navrée de l'avoir ainsi blessé sans le vouloir. Mon regard se portait dehors et défilaient heures et jours. Enfin, arriva Neskaya me dit-on.

Dans mon esprit se battaient en duel l'envie d'y aller, d'en savoir plus et la peur du refus, du renvoi chez moi sans rien de plus. Et surtout qu'allais-je faire, il y avait une fête soit, mais je n'y connaissais personne. Je soupirais et Bruna me reprima, une damisela ne soupire pas. Je pestais et il en fut de même. Enfin la calèche s'arrêta, nous étions devant un immense bâtiment, enfin un ensemble de bâtiments liés et hauts. J'observais par la fenêtre quand le cocher ouvrit la porte et manqua de me faire tomber, par chance je me retins au chambranle et évitais je pire, mais Rouky tomba au sol sur ses pattes et protesta.

Cela me fit sourire et je le reprit dans mes bras et l'embrassait sur la truffe. Bruna soupira et je lui dis qu'une gouvernante ne soupire pas non plus. Elle secoua la tête de dépit et m'incita à descendre mais mes jambes flageollaient, ne le voyait-elle pas? Je savais qu'une chambre était réservée pour nous à l'auberge et que nous irions le soir après la fête, mais en attendant. J'inspirais et descendit. Le premier pas hors de la calèche était dit-on le plus dur et une fois les deux pieds au sol je réprimais un frisson.

- Allez Rouky sois courageux tout va bien se passer tu le sais bien.

Bruna descendit derrière moi et prit son sac, son nécessaire vital de couture,  broderie, medication et autres choses mystérieuses à mes yeux.

- Allez ma belle, il est temps que tu ailles te présenter là bas. On va bien trouver quelqu'un pour nous dire ce que tu dois faire.

Elle semblait confiante elle au moins, c'était une bonne chose alors je souris doucement et observais la lourde structure de pierre : la Tour de Neskaya, la plus ancienne de ténébreuse.

Cette année la réunion des gardiens se tenait à Neskaya, c'était un rituel annuel dans lequel les jeunes prétendants à la tour venaient se présenter aux personnes les plus compétentes. Cela avait le mérité d'éviter de les voir traverser tout ténébreuse pour rencontrer chaque gardien afin de s'entretenir avec lui et savoir si sa vision du monde et surtout du laran l'intéressait. Ils étaient tous arrivés et certains se détendaient avant la longue journée répétitive qui s'offrirait à eux.

Keith Alton, Gardien de Thendara avait donc en tant qu'hôte des réjouissances le rôle ingrat de faire l'accueil de certains des volontaires. Il était levé depuis l'aube comme toujours et avait même eu le temps de faire sa rituelle balade à cheval avant de revenir. Il avait senti qu'un membre de la tour sortait et franchissait le voile et savait de qui il s'agissait, il était surpris qu'elle se déplace mais cela pouvait s'avérer instructif après tout cette journée.

Il descendit les étages et franchit à son tour le voile pour arriver sur le parvis aux côtés de la technicienne d'Arilinn.

S'dia shaya Rosalys. J'espère que tu es armée d'une grande patience pour ce jour il nous en faut hélas toujours, trop des nôtres imaginent qu'il suffit d'une trace de télépathie pour rejoindre nos rangs et quand à ceux venant suivre nos apprentissages il est parfois pénibles de les voir pleurer à l'idée du travail qui les attend. Les élus seront rares et il est problble que nous voulions tous les mêmes recrues.

C'était un fait logique mais il n'en demeurait pas moins une réalité. Le gardien drapé de ses voiles rouges observait ceux déjà arrivés dans la cour, il n'irait pas vers eux, il attendrait qu'ils viennent à lui cela allait de soi.

J'étais impressionnée il fallait l'avouer et la présence de ma gouvernante ou des hommes d'armes en retrait avec la calèche ne m'aidaient que peu en réalité, pourquoi n'avais-je pu rester auprès de varu? J'en étais là de mes réflexions quand un homme plutôt jeune m'aborda poliment et gentiment. J'ai cru un instant qu'il était accompagné d'une damisela mais elle partit directement parler à la magnifique laranzu sur le pas de la tour qui était maintenant avec un homme effrayant d'autorité il le portait sur lui, brrrr.

Je souris doucement et répondis en esquissant une révérence maladroite.

- S'dia shaya dom Rafael Lindir. Cleindori Ardais su serva. Je vous avoue être intimidée et dans l'incapacité de savoir ce qu'il doit être fait pour ne pas commettre d'impair en allant me présenter à la tour.

Je rougis légèrement, audacieuse réponse de la part d'une gamine tout juste sorti des jupons de sa mère et si éloignée de chez elle. J'observais les regards inquisiteurs et scrutateurs des laranzus et je tremblais presque, nous jugeaient-ils aussi sur notre apparence ou notre maintien? Je me redressais sans même m'en rendre compte. Rouky dans mes bras n'en menait pas large non plus. Je l'observais et un instant le doute m'envahit alors j'osais poser la question à cet homme serviable et abordable à mes yeux.

- Croyez vous qu'il sera malvenu d'y aller avec mon compagnon? J'avoue n'être pas bien lorsque nous sommes séparés lui et moi.

D'aucuns pourraient en rire mais j'étais sérieuse, il m'avait arraché à ma torpeur et redonné goût à la vie et depuis nous ne nous quittions plus.

Célèbre. Je ne m’attendais pas à une réponse aussi puérile. Est-ce vraiment ce que l’on recherche lorsque l’on souhaite intégrer une tour, la célébrité et s’en réjouir ? Non, je ne crois pas. Le pouvoir et la puissance, certainement. Je n’aimerai pas que les gens chantent mon nom…
Je n’avais pas lâché Irmelin du regard et relevais simplement les sourcils en réponse, bien qu’aucune réponse n’était attendue. Elle préféra ensuite poursuivre avec Keith

Mon parent approcha à son tour avec la jeune fille et… un renard vivant. Je crois n’avoir jamais vu une chose d’aussi extravagante de ma carrière. Mon regard passait de Cleindori à l’animal plusieurs fois tout en écoutant Rafael et répondit d’un ton neutre.

S’dia shaya Rafael. Je n’avais en effet jamais rencontré ta parente avant maintenant.

Mon attention se reporta une nouvelle fois sur la jeune fille.

S’dia shaya Cleindori. Pour l’animal, je te répondrai que la tour n’est pas un chenil. Je te conseille de le relâcher ou de l’amener à un des tanneurs du marché. Mais je ne peux parler en la voix de Keith de Neskaya qui se tient près de moi. Tu es ici, chez lui.

J’étais gênée d’être celle à qui l’on adressait la parole en présence d’une robe rouge. Je tournais la tête vers lui pour que Rafael et Cleindori en fassent de même.

Est-ce que la suite peut être pire ?

Un nouvel arrivant fit son apparition, que pouvait-il attendre ? Qu'on vienne le prendre par la main ?

Les années passaient et malgré quelques surprises, c'était bien la première fois qu'un potentiel apprenti se présentait avec un animal de ce type. Et avait le front de penser que son animal pourrait passer le voile...

C'est tout simplement impossible. Seuls les humains et les kyrris peuvent passer le voile. Quelle leroni vous a laissé vous attacher autant à cette bête ?

Manifestement, Keith de Neskaya n'avait pas envie de laisser penser aux arrivants qu'ils seraient traités comme ils pouvaient l'être avec leur famille.

Je ne suis pas superstitieux Rosalys mais si un des Dieux est taquin, il pourrait bien vouloir te prendre au mot.

Irmelin, passez le voile. Plus tôt nous saurons à quoi nous en tenir, plus tôt nous pourrons tous vaquer à nos obligations.

Il n'entendait pas jouer les coridom plus longtemps mais sa tretraite derrière le voile fut interrompue par une autre jeune fille. Au moins cette dernière semblait avoir plus conscience de sa place.

Encatada Octavia Aillard.
 

Le jeune homme était charmant et répondit avec politesse ce qui me rassura grandement. J’écoutais avec attention ses conseils alors que nous avancions vers le parvis de la tour où se tenaient les laranzus.

- Nous verrons bien, je vous remercie en tout cas pour vos mots.

Je respirais aussi calmement que possible mais je n’en menais pas large du tout. Ma gouvernante restait en retrait et je savais bien qu’elle irait dans les quartiers des serviteurs sans pour autant franchir le voile. Au demeurant, j’avais du laran la belle affaire mais pouvais-je passer le voile sans qu’il soit actif ?

Mon compagnon sauveteur connaissait donc la belle dame en bleu, quel rôle était-ce déjà aucune idée, mais je savais que le gardien en rouge était le responsable de la tour, le chef des lieux. Il posa la question pour moi à sa cousine visiblement, dont je mémorisais le nom. Celle-ci me répondit à alors et je rougis à sa réponse tout en serrant par réflexe mon compagnon contre moi.

Plaisantait-elle ? Je ne savais même pas quoi lui répondre, je n’avais nulle répartie intelligente ou pertinente. Mes yeux s’embuaient contre mon gré de larmes inconvenues à l’idée de voir Rouky mort et chez un tanneur, comment pouvait-on avoir aussi peu de tact et être aussi belle ?

Je tournais alors mon regard vers le gardien, espérant peut-être y trouver plus de considération, d’empathie probablement. Pour l’heure je n’avais salué personne encore n’ayant pas ouvert la bouche depuis notre approche. La suite me déprima littéralement quand à la suite je fus surprise de la question, aucune leroni ne m’avait rien laissé faire allons, je vivais avec mes parents et Rouky m’avait ramené aux vivants alors il était juste présent maintenant.

Néanmoins je respirais avec difficulté à l’idée de le laisser alors pour cacher ma peine, sans mot je me tournais et le confiais à ma vieille Bruna, j’inspirais son odeur avant de le laisser et croisais son regard. Je murmurais « on se revoit vite je te le promets ». Puis je me tournais vers les grands de la tour et dis d’une voix atone.

- S’dia shaya vai laranzu, Cleindori Ardais su serva, je suis navrée pour mon compagnon, je ne savais pas. Vai leroni merci pour vos réponses.

Cela étant dit, ma gorge était nouée et mon cœur gonflé de tristesse à l’idée d’entrer sans Rouky mais je n’en dis rien, inutile, je le portais sur moi. Je n'avais même pas songé à saluer l'autre jeune fille qui devait avoir mon âge à peu de choses près. Et bien sûr Cleindori bien que montagnarde parle en casta dans les plaines.

Certains des futurs apprentis ou des possesseurs de laran atypiques avaient déjà franchi le voile, Irmelin Aillard avait suivi ce chemin sans rien ajouter. Le gardien regardait la gamine déposer son animal dans les bras de sa servante et resta impassible quand elle revint se présenter enfin ! Il acquiesça d’un signe de tête cela suffirait largement pour cette enfant gâtée par des parents stupides.

Plusieurs personnes encore restaient sur le parvis mais il était temps de commencer les choses sérieuses. Avisant un jeune homme et d’autres moins bien vêtus derrière lui Keith repris la parole.

- Entrez si vous le pouvez, les kyrris vous mèneront dans la salle des apprentis, les gardiens et certains techniciens vous rencontreront brièvement pour parler de la raison de votre présence ici. Soyez brefs et concis, vous êtes nombreux et le temps précieux.

Cela étant dit il tourna les talons et le dos à ceux encore dehors. Il attendit quelques secondes que Rosalys ne le suive, ensemble ils entrèrent et se dirigèrent vers le fond du couloir alors que des kyrris attendaient pour guider les arrivants vers la grande salle des apprentis déjà pleine de monde, filles, garçons, gens du commun ou pas, tous avaient du laran mais peu seraient choisis pour aller apprendre dans des tours, ils seraient confiés à des leronis itinérants ou de village.

Si Keith Alton pouvait inspirer la peur et l'inquiétude quand il s'approchait, il n'en était pas de même avec le gardien d'Arilinn. Sa stature était impressionnante, immense, longiligne, des cheveux blancs comme la neige, il portait sur lui son ascendance chieri. Il semblait flotter quand il avançait et de lui émanait un sentiment de paix et de sagesse, était-il réellement jeune ou pas, dur de le savoir, il était sans âge et le serait probablement très longtemps.

Vêtu de ses longs voiles d'un rouge sombre il était dans la salle des apprentis, il attendait patiemment que tous arrivent enfin et il observait avec minutie et intérêt chacun d'un, cherchant à voir, déceler quel talent ils pouvaient avoir. Etaient-ils des gens sans importance ou bien des travailleurs en devenir, cette tâche qui agaçait certains de ses confrères il l'appréciait, il était peut-être le plus humains des six, belle ironie non?

- Entrez, prenez place.

Il parlait d'une voix douce qui pourtant ne souffrait pas qu'on lui réponde non, il avait une autorité calme. Rosalys et Keith arriveraient bientôt ainsi que les derniers candidats.

J’entrais à mon tour, suivie bientôt par Keith, attendant de quoi me frayer un passage, le temps que ces mous du genou s’installent. Je pouvais comprendre, peut être, cette angoisse du résultat, serons-nous à la hauteur ?... Toutes ces inepties de faibles, mais cela n’empêchait en rien d’être vif.

Je soupirais intérieurement, hélas je ne pouvais les secouer pour les faire réagir. Espérons qu’ils se réveilleront une fois qu’ils devront se vendre.
Je me faufile enfin en retrait, derrière mon gardien d’Arilinn. La récolte allait commencer.

Ethan d’Ariinn a un regard bienveillant sur les nouvelles recrues, se souvenant de l’angoisse qu’il avait vécu quand il était venu pour la moisson, un temps rude que certains avaient oublié. La présence de Rosalys le rassurait presque et surtout le maintenait proche de la réalité.

- Ma douce Roz as-tu ressenti quelque chose pour un ou une des apprentis que tu as pu croiser ? Parfois un regard suffit à choisir nos futurs travailleurs.

Il avait confiance en son regard analytique.
Il sourit à la jeune fille rousse qui avait osé prendre la parole et répondit avec sa douceur coutumière.

- Ben dia, Ethan d’Arilinn su serva.

Nul besoin d’en rajouter, il avait sourit à la seconde jeune femme entrée, il avait malgré lui tiqué à son entrée ne ressentant pas son esprit, comme cela était étrange.
Vint ensuite un jeune homme qui lui provoqua une étrange intuition, il répondit d’un hochement de tête.
Son accolyte de Hali, le jeune prodige était entré à son tour.